Je souhaiterais donc aborder la question de la théorie crip, voir comment elle s'est inspirée de la théorie queer, mais aussi comment elle s'en distancie parfois à la lumière d'arguments qui peuvent apporter de nouvelles sources de réflexions pour la théorie queer, et la rendre donc, nous l'espérons, plus crip.
La théorie crip s’est développée suite aux critiques à l’encontre des Disability studies dans le monde anglo-saxon sur leurs manques d’interactions avec les autres groupes sociologiquement et politiquement opprimés comme les femmes, les homosexuel-les, les noir-es.
Le mot crip n’existe pas dans le dictionnaire anglais Oxford, mais le nom cripple signifie « estropié, boiteux, infirme, invalide ». On peut donc imaginer que crip, réduction de cripple, soit, à la lumière de queer, une réappropriation d’un mot stigmatisant. On peut également supposer que la consonance du mot fait référence à creep, utilisé dans les jeux vidéo/informatiques, pour désigner des petites bêtes bizarres, une forme de sous-espèce.
La notion de queer est devenue un étendard militant de fierté. Elle tend à s’élargir à toute personne refusant les normes oppressives du corps sexuel et sexué. Elle permet de remettre en question la fixité des identités. Le handicap pourrait rentrer dans ce sens du mot queer puisqu'il ré-interroge les normes corporelles, et notamment dans les enjeux de la sexualité, du désir, de ce que l’on attend des corps genrés. Il interroge aussi sur l’intérêt de ne pas fixer les identités.
Je vais tout d'abord faire une courte analyse de la pensée de Judith Butler, une des théoriciennes phares de la théorie queer, en essayant de voir comment elle peut permettre de mieux comprendre le handicap.
La théorie crip s’est développée suite aux critiques à l’encontre des Disability studies dans le monde anglo-saxon sur leurs manques d’interactions avec les autres groupes sociologiquement et politiquement opprimés comme les femmes, les homosexuel-les, les noir-es.
Le mot crip n’existe pas dans le dictionnaire anglais Oxford, mais le nom cripple signifie « estropié, boiteux, infirme, invalide ». On peut donc imaginer que crip, réduction de cripple, soit, à la lumière de queer, une réappropriation d’un mot stigmatisant. On peut également supposer que la consonance du mot fait référence à creep, utilisé dans les jeux vidéo/informatiques, pour désigner des petites bêtes bizarres, une forme de sous-espèce.
La notion de queer est devenue un étendard militant de fierté. Elle tend à s’élargir à toute personne refusant les normes oppressives du corps sexuel et sexué. Elle permet de remettre en question la fixité des identités. Le handicap pourrait rentrer dans ce sens du mot queer puisqu'il ré-interroge les normes corporelles, et notamment dans les enjeux de la sexualité, du désir, de ce que l’on attend des corps genrés. Il interroge aussi sur l’intérêt de ne pas fixer les identités.
Je vais tout d'abord faire une courte analyse de la pensée de Judith Butler, une des théoriciennes phares de la théorie queer, en essayant de voir comment elle peut permettre de mieux comprendre le handicap.
La notion d'abjecte
Cette notion est utilisée par Judith Butler pour parler de ce qui ne rentre pas dans les normes, ce qui est rejeté hors des frontières de la normalité, notamment en ce qui concerne les genres et les sexualités. C'est un mot très fort puisqu'il signifie "ce qui provoque le dégoût, le mépris, qui évoque une dégradation morale". Butler montre ainsi le rapport de pouvoir que les normes ont sur les personnes, poussant celles qui n'y correspondent pas dans un domaine d'abjection.
Butler utilise la notion de queer comme outil pour déconstruire les identités, notamment dans les liens qui les rattachent aux corps. La notion queer permet de réfléchir à l'abjecte comme une mise à la marge, comme un support essentiel à la norme dominante pour se construire.
Le Queer se définit comme des pratiques controversées qui travaillent l'abjection pour la transformer en puissance d'action politique. Il interroge les questions de la légitimité et de l'illégitimité, mais l'illégitimité comprise comme une force positive, et non comme une identité négative. Cette question de la légitimité est en rapport avec ce qui peut être défini comme humain : Les pratiques queer sont non seulement contestataires, mais elles remettent en cause l'humanité même des personnes qui les pratiquent. L'abject désigne les zones invivables, inhabitables de la vie sociale, peuplées par celles et ceux qui ne jouissent pas du statut de sujet. Ces zones délimitent qui est considéré comme sujet ou non, le sujet étant alors désigné à travers un domaine d'abjection et d'exclusion.
Butler utilise la notion de queer comme outil pour déconstruire les identités, notamment dans les liens qui les rattachent aux corps. La notion queer permet de réfléchir à l'abjecte comme une mise à la marge, comme un support essentiel à la norme dominante pour se construire.
Le Queer se définit comme des pratiques controversées qui travaillent l'abjection pour la transformer en puissance d'action politique. Il interroge les questions de la légitimité et de l'illégitimité, mais l'illégitimité comprise comme une force positive, et non comme une identité négative. Cette question de la légitimité est en rapport avec ce qui peut être défini comme humain : Les pratiques queer sont non seulement contestataires, mais elles remettent en cause l'humanité même des personnes qui les pratiquent. L'abject désigne les zones invivables, inhabitables de la vie sociale, peuplées par celles et ceux qui ne jouissent pas du statut de sujet. Ces zones délimitent qui est considéré comme sujet ou non, le sujet étant alors désigné à travers un domaine d'abjection et d'exclusion.
La performativité du handicap
Si l'on prend, comme le fait Judith Butler, la notion foucaldienne "d'idéal régulateur", la validité apparaît comme un idéal régulateur, c'est à dire comme un symbolique qui semble immuable et présent de tout temps alors que c'est faux. La validité est, en fait, produite par des normes qui imposent des frontières, des espaces de séparation. Elle est une identité socialement construite, mais elle n’apparaît jamais comme telle, elle apparaît comme naturelle. Les personnes qui correspondent aux normes et sont du bon coté de la frontière ont un pouvoir qui leur permet de perpétuer ces normes. Il y a une une répétition inconsciente de ces normes produite par effet de pouvoir, et cette répétition est le cœur d'un processus toujours en cours, sachant que toute réitération n'est jamais identique à la précédente mais porte en elle une sédimentation des fois antérieures.
Judith Butler met en avant la notion de "performativité" pour expliquer comment les genres sont socialement construits. Elle explique donc que c'est par une pratique de répétitions, ainsi que par le fait même de "dire les choses", que le discours produit les effets qu'il nomme. Pour utiliser un exemple basique, c'est les caractéristiques données par le discours social aux filles et aux garçons qui font qu'ils-elles sont comme ça. C'est en disant que les filles sont plus sensibles, plus romantiques, et les garçons plus virils, plus sportifs, qu'ils-elles le sont (et non naturellement).
Il faut alors s'interroger à la façon dont on se réfère aux choses, et pour ce qui nous intéresse ici, dans notre exposé, à la façon dont on se réfère aux corps valides. C'est l'importance du langage, des significations qui donne au langage une force performative.
Dans la performativité il y a répétition d'une norme ou d'un ensemble de normes. Mais cette répétition des normes est masquée ou dissimulée afin que ces normes apparaissent toujours comme naturelles, et non dépendantes d'un contexte socio-historique. Le sujet n'a pas conscience de ce processus. Le sujet n'apparaît comme sujet que lorsque les effets du discours qui l'ont créé ne révèlent pas les pratiques de création langagière par lesquelles, justement, ce sujet est conditionné. Le sujet valide n'apparaît donc comme sujet valide qu'à travers le discours social validiste, mais ce discours est naturalisé pour faire croire que la validité est normale et qu'il n'y a pas lieu de s'interroger sur sa création.
On peut utiliser ce concept de performativité pour montrer que le handicap n'est pas une description statique de ce que l'on est et de ce que l'on a, mais qu'il se construit au travers de normes qui excluent de la viabilité, des normes qui présentent dans l'imaginaire culturel les corps handicapés comme ne pouvant être aptes.
Le handicap apparaît comme une norme par laquelle les corps sont matérialisés ; c'est à dire que les normes culturelles associées au handicap façonnent la réalité même des corps, et forment des dynamiques de pouvoir. La reconnaissance répétée de la validité constitue une sédimentation et la production d'un effet matériel, d'une certaine réalité des plus concrètes et palpables.
Il y a, dans la société, une identification avec le fantasme normatif du valide ; identification qui a lieu à travers une répudiation de tout sujet qui n'y correspond pas. Ce processus matérialise et stabilise les frontières, fixe la surface, c'est à dire la matière des corps dignes d'être sujets, ou ceux rejetés dans l'abjection.
À travers quelles normes régulatrices la validité est-elle matérialisée ? Effets sédimentés d'une pratique réitérative ou rituelle, la validité acquière ainsi son aspect naturalisé, et cependant c'est aussi en vertu de cette réitération que s'ouvrent des failles et des fissures, qu'apparaissent les instabilités de telle ou telle construction, ce qui échappe ou excède à la norme, ce qui ne peut entièrement être fixé ou défini par le travail répétitif de cette norme.
Judith Butler met en avant la notion de "performativité" pour expliquer comment les genres sont socialement construits. Elle explique donc que c'est par une pratique de répétitions, ainsi que par le fait même de "dire les choses", que le discours produit les effets qu'il nomme. Pour utiliser un exemple basique, c'est les caractéristiques données par le discours social aux filles et aux garçons qui font qu'ils-elles sont comme ça. C'est en disant que les filles sont plus sensibles, plus romantiques, et les garçons plus virils, plus sportifs, qu'ils-elles le sont (et non naturellement).
Il faut alors s'interroger à la façon dont on se réfère aux choses, et pour ce qui nous intéresse ici, dans notre exposé, à la façon dont on se réfère aux corps valides. C'est l'importance du langage, des significations qui donne au langage une force performative.
Dans la performativité il y a répétition d'une norme ou d'un ensemble de normes. Mais cette répétition des normes est masquée ou dissimulée afin que ces normes apparaissent toujours comme naturelles, et non dépendantes d'un contexte socio-historique. Le sujet n'a pas conscience de ce processus. Le sujet n'apparaît comme sujet que lorsque les effets du discours qui l'ont créé ne révèlent pas les pratiques de création langagière par lesquelles, justement, ce sujet est conditionné. Le sujet valide n'apparaît donc comme sujet valide qu'à travers le discours social validiste, mais ce discours est naturalisé pour faire croire que la validité est normale et qu'il n'y a pas lieu de s'interroger sur sa création.
On peut utiliser ce concept de performativité pour montrer que le handicap n'est pas une description statique de ce que l'on est et de ce que l'on a, mais qu'il se construit au travers de normes qui excluent de la viabilité, des normes qui présentent dans l'imaginaire culturel les corps handicapés comme ne pouvant être aptes.
Le handicap apparaît comme une norme par laquelle les corps sont matérialisés ; c'est à dire que les normes culturelles associées au handicap façonnent la réalité même des corps, et forment des dynamiques de pouvoir. La reconnaissance répétée de la validité constitue une sédimentation et la production d'un effet matériel, d'une certaine réalité des plus concrètes et palpables.
Il y a, dans la société, une identification avec le fantasme normatif du valide ; identification qui a lieu à travers une répudiation de tout sujet qui n'y correspond pas. Ce processus matérialise et stabilise les frontières, fixe la surface, c'est à dire la matière des corps dignes d'être sujets, ou ceux rejetés dans l'abjection.
À travers quelles normes régulatrices la validité est-elle matérialisée ? Effets sédimentés d'une pratique réitérative ou rituelle, la validité acquière ainsi son aspect naturalisé, et cependant c'est aussi en vertu de cette réitération que s'ouvrent des failles et des fissures, qu'apparaissent les instabilités de telle ou telle construction, ce qui échappe ou excède à la norme, ce qui ne peut entièrement être fixé ou défini par le travail répétitif de cette norme.
Créer un retour perturbateur
Cette instabilité dans les répétitions est la possibilité d'une déconstruction inhérente au processus même de répétition, une force qui défait les effets mêmes par lesquels la validité est stabilisée, une possibilité de produire une crise potentiellement productrice au sein de la consolidation des normes validistes.
Il faut créer un retour nécessairement perturbateur de ce qui est exclu de la logique même de la symbolique validiste. Le règne de la validité se fait dès le départ sous la contrainte, et s'il existe une puissance d'agir, on la trouvera paradoxalement, pour Butler, dans les possibilités ouvertes par cette appropriation contrainte de la loi régulatrice, par la matérialisation de cette loi, l'appropriation et l'identification obligatoire avec ces exigences normatives. En d'autres mots, la loi validiste doit être incorporée pour être combattue.
Si la loi de la validité est fortifiée et idéalisée c'est parce qu'elle est répétée comme idéal premier et inapprochable par les effets de discours qu'elle commande. Ces séries d'injonctions normatives garantissent des frontières, et si ces frontières sont dépassées ou diluées, apparaît la menace de la psychose, c'est-à-dire de la dissolution du sujet puisque les personnes qui peuplent le dehors des frontières ne sont pas considérés comme humains.
La question est donc de savoir ce qui pourrait signifier « citer » la loi, « dire » la loi, pour la produire différemment. La citation de la loi est le mécanisme même de sa production et de sa formulation. Le sujet est donc dépendant des normes régulatrices auxquelles il s'oppose. Le sujet qui veut résister à ces normes est lui-même capable de le faire en vertu de ces normes, voir est produit par elles. La puissance d'agir se situe donc dans une pratique de réitération, de reformulation immanente au pouvoir et non dans une relation externe d'opposition à ce pouvoir. Il y a donc une réitération forcée des régimes de régulation validiste. La matérialisation de ces normes requiert des processus d'identifications par lesquels elles sont assumées et appropriées. Il faut se demander comment les corps qui échouent à se matérialiser fournissent le dehors nécessaire aux corps qui eux, en donnant vie aux normes, sont reconnus comme des corps substantiels. Il faut s'interroger sur comment la matérialisation de la norme à travers le corps produit un domaine de corps rejetés dans l'abjection, qui échouent à être reconnus comme pleinement humains et qui fortifient donc ces normes régulatrices. Ce royaume de l'exclusion et de l'abjection permet une hégémonie symbolique des corps qui comptent, des manières de vivre qui comptent comme des vies dignes d'être protégées. Il s'agit de réarticuler les termes de la légitimité et de l'intelligibilité symbolique, notamment en régulant les principes d'identification.
Ces frontières sont des défenses contre certaines transgressions socialement dangereuses. Le fait de remettre en question ces frontières perturbe les ordres symboliques et peut provoquer des angoisses sociales. C'est ces angoisses liées à ces comportements vus comme socialement dangereux que le queer essaye de mettre au jour, et de redéfinir autrement. Il permet de se demander si ce dehors de corps abjectes est ce qui résiste constamment à l'élaboration du discours, ou est-ce qu'il s'agit d'une frontière variable en fonction des investissements politiques spécifiques ?
Le queer est donc un exemple de politique du discours, et un travail de l'abjection pour la transformer en puissance d'agir politique. Il s'agit de légitimer l'abjection mais aussi de la politiser. Cette politisation est essentielle pour créer des communautés dans lesquelles il devient davantage possible de survivre, plus estimé-e, plus digne d'être soutenu-e.
Il s'agit de faire une resignification radicale dans le domaine du symbolique et de se détourner de la chaîne d'effets produits par les discours normatifs afin d'ouvrir un futur renfermement davantage de possibles.
Il s'agit de se demander jusqu'à quel point la validité est une production contrainte qui fixe les limites de ce qui est reconnu comme un corps viable et soutenu ? Comment ce qui est forclos et banni du domaine légitime de la validité, ce domaine étend établi par un impératif validiste, pourrait être produit comme un retour perturbateur ? Il s'agit d'une réarticulation radicale de l'horizon symbolique, et c'est cette réarticulation radicale que se propose de faire les théories crip en déconstruisant les identités handicapées.
Il faut créer un retour nécessairement perturbateur de ce qui est exclu de la logique même de la symbolique validiste. Le règne de la validité se fait dès le départ sous la contrainte, et s'il existe une puissance d'agir, on la trouvera paradoxalement, pour Butler, dans les possibilités ouvertes par cette appropriation contrainte de la loi régulatrice, par la matérialisation de cette loi, l'appropriation et l'identification obligatoire avec ces exigences normatives. En d'autres mots, la loi validiste doit être incorporée pour être combattue.
Si la loi de la validité est fortifiée et idéalisée c'est parce qu'elle est répétée comme idéal premier et inapprochable par les effets de discours qu'elle commande. Ces séries d'injonctions normatives garantissent des frontières, et si ces frontières sont dépassées ou diluées, apparaît la menace de la psychose, c'est-à-dire de la dissolution du sujet puisque les personnes qui peuplent le dehors des frontières ne sont pas considérés comme humains.
La question est donc de savoir ce qui pourrait signifier « citer » la loi, « dire » la loi, pour la produire différemment. La citation de la loi est le mécanisme même de sa production et de sa formulation. Le sujet est donc dépendant des normes régulatrices auxquelles il s'oppose. Le sujet qui veut résister à ces normes est lui-même capable de le faire en vertu de ces normes, voir est produit par elles. La puissance d'agir se situe donc dans une pratique de réitération, de reformulation immanente au pouvoir et non dans une relation externe d'opposition à ce pouvoir. Il y a donc une réitération forcée des régimes de régulation validiste. La matérialisation de ces normes requiert des processus d'identifications par lesquels elles sont assumées et appropriées. Il faut se demander comment les corps qui échouent à se matérialiser fournissent le dehors nécessaire aux corps qui eux, en donnant vie aux normes, sont reconnus comme des corps substantiels. Il faut s'interroger sur comment la matérialisation de la norme à travers le corps produit un domaine de corps rejetés dans l'abjection, qui échouent à être reconnus comme pleinement humains et qui fortifient donc ces normes régulatrices. Ce royaume de l'exclusion et de l'abjection permet une hégémonie symbolique des corps qui comptent, des manières de vivre qui comptent comme des vies dignes d'être protégées. Il s'agit de réarticuler les termes de la légitimité et de l'intelligibilité symbolique, notamment en régulant les principes d'identification.
Ces frontières sont des défenses contre certaines transgressions socialement dangereuses. Le fait de remettre en question ces frontières perturbe les ordres symboliques et peut provoquer des angoisses sociales. C'est ces angoisses liées à ces comportements vus comme socialement dangereux que le queer essaye de mettre au jour, et de redéfinir autrement. Il permet de se demander si ce dehors de corps abjectes est ce qui résiste constamment à l'élaboration du discours, ou est-ce qu'il s'agit d'une frontière variable en fonction des investissements politiques spécifiques ?
Le queer est donc un exemple de politique du discours, et un travail de l'abjection pour la transformer en puissance d'agir politique. Il s'agit de légitimer l'abjection mais aussi de la politiser. Cette politisation est essentielle pour créer des communautés dans lesquelles il devient davantage possible de survivre, plus estimé-e, plus digne d'être soutenu-e.
Il s'agit de faire une resignification radicale dans le domaine du symbolique et de se détourner de la chaîne d'effets produits par les discours normatifs afin d'ouvrir un futur renfermement davantage de possibles.
Il s'agit de se demander jusqu'à quel point la validité est une production contrainte qui fixe les limites de ce qui est reconnu comme un corps viable et soutenu ? Comment ce qui est forclos et banni du domaine légitime de la validité, ce domaine étend établi par un impératif validiste, pourrait être produit comme un retour perturbateur ? Il s'agit d'une réarticulation radicale de l'horizon symbolique, et c'est cette réarticulation radicale que se propose de faire les théories crip en déconstruisant les identités handicapées.
Les identités handicapées
Cette notion "d'identité handicapée" a un parcours complexe car elle se mélange entre nécessité de nommer qui est handicapé-e, notamment pour savoir qui peut revendiquer les diverses aides financières, matérielles, humaines, liées à ce statut, et un rapport souvent difficile des personnes concernées avec cette image négative du handicap. Les théories crip proposent de retourner le stigmate du handicap en réfléchissant en profondeur à la place des sujets handicapés comme ayant à la fois une spécificité qui les rendait « a-normaux », donc potentiellement subversifs de la norme, mais cette spécificité étant aussi une clé pour appréhender le décloisonnement et l'instabilité recherchés dans le queer.
La possibilité très facile de passer du statut de valide à celui de handicapé-e, la multiplicité des handicaps, la visibilité ou non de ces derniers, sont autant de réorganisations identitaires que les théories crip peuvent aider à penser.
Ces positions où les corps handicapés sont perçus très négativement, comme des corps représentant le pendant maléfique des corps valides, comportent des possibilités de réappropriations du stigmate. C'est ce que cherchent à creuser les théories et les pratiques crip, en s'inspirant notamment du queer, mais aussi parfois en le critiquant.
Pourtant, certain-es militant-es et théoricien-nes crip sont en désaccord avec des aspects de la théorie queer. A la lumière du texte de Merri Lisa Johnson, on peut voir que certaines expériences prônées dans la vision queer ne sont pas du tout bien vécues lorsqu’elles sont imposées par le handicap. Merri Lisa Johnson est une femme ayant des troubles psychiques dits "états limites" (borderline), et elle critique dans son texte intitulé "Bad romance : a crip feminist critique of queer failure", la notion de "défaillance" (failure) prônée dans le queer, et notamment dans le texte d'Halberstam : Queer Art of Failure. Elle y explique que, lorsque des expériences queer de désidentifiation apparaissent comme libératrices et émancipatrices, elles deviennent subies et destructrices rattachées à certains handicaps tel que le sien. Elle cite une de ses collègues universitaires qui a résumé la critique portée envers Halberstam en disant « c'est moins une question de choisir la défaillance que de choisir quoi faire avec la défaillance qui nous a choisi ». Pour Merri Lisa Johnson, une certaine partie de la théorie queer ne peut s'adresser aux personnes handicapées car elle ne prend pas en compte les expériences et ressentis crip. La théorie queer utilise, de plus, tout un réseau de métaphores qu'elle juge validistes, tout comme certains porte-étendards de la lutte contre les oppressions telle que Bell Hooks (elle cite à ce sujet le texte de Sami Schalk : "Metaphorically Speaking: Ableist Metaphors in Feminist Writing").
Merri Lisa Johnson s'appuie aussi sur les propos d'Alison Kafer qui se demande si « le temps queer est le temps crip » et décrit Halberstam comme un théoricien queer qui « approche le terrain des études sur le handicap » mais « ne franchit pas cette ouverture ». Kafer remarque gentiment que la maladie et le handicap sont questionnés de façon à donner davantage à la théorie queer qu'ils ne reçoivent en retour de la part de cette dernière. Dans son livre Feminism, queer, crip, Kafer pointe le fait que la théorie queer aurait une vision trop validocentrée qui exclurait les personnes handicapées des activités sociales associées. Elle interroge ainsi la notion de futur à partir de l'expérience présente du handicap.
La possibilité très facile de passer du statut de valide à celui de handicapé-e, la multiplicité des handicaps, la visibilité ou non de ces derniers, sont autant de réorganisations identitaires que les théories crip peuvent aider à penser.
Ces positions où les corps handicapés sont perçus très négativement, comme des corps représentant le pendant maléfique des corps valides, comportent des possibilités de réappropriations du stigmate. C'est ce que cherchent à creuser les théories et les pratiques crip, en s'inspirant notamment du queer, mais aussi parfois en le critiquant.
Pourtant, certain-es militant-es et théoricien-nes crip sont en désaccord avec des aspects de la théorie queer. A la lumière du texte de Merri Lisa Johnson, on peut voir que certaines expériences prônées dans la vision queer ne sont pas du tout bien vécues lorsqu’elles sont imposées par le handicap. Merri Lisa Johnson est une femme ayant des troubles psychiques dits "états limites" (borderline), et elle critique dans son texte intitulé "Bad romance : a crip feminist critique of queer failure", la notion de "défaillance" (failure) prônée dans le queer, et notamment dans le texte d'Halberstam : Queer Art of Failure. Elle y explique que, lorsque des expériences queer de désidentifiation apparaissent comme libératrices et émancipatrices, elles deviennent subies et destructrices rattachées à certains handicaps tel que le sien. Elle cite une de ses collègues universitaires qui a résumé la critique portée envers Halberstam en disant « c'est moins une question de choisir la défaillance que de choisir quoi faire avec la défaillance qui nous a choisi ». Pour Merri Lisa Johnson, une certaine partie de la théorie queer ne peut s'adresser aux personnes handicapées car elle ne prend pas en compte les expériences et ressentis crip. La théorie queer utilise, de plus, tout un réseau de métaphores qu'elle juge validistes, tout comme certains porte-étendards de la lutte contre les oppressions telle que Bell Hooks (elle cite à ce sujet le texte de Sami Schalk : "Metaphorically Speaking: Ableist Metaphors in Feminist Writing").
Merri Lisa Johnson s'appuie aussi sur les propos d'Alison Kafer qui se demande si « le temps queer est le temps crip » et décrit Halberstam comme un théoricien queer qui « approche le terrain des études sur le handicap » mais « ne franchit pas cette ouverture ». Kafer remarque gentiment que la maladie et le handicap sont questionnés de façon à donner davantage à la théorie queer qu'ils ne reçoivent en retour de la part de cette dernière. Dans son livre Feminism, queer, crip, Kafer pointe le fait que la théorie queer aurait une vision trop validocentrée qui exclurait les personnes handicapées des activités sociales associées. Elle interroge ainsi la notion de futur à partir de l'expérience présente du handicap.
Je conclurais en citant un extrait de son livre : « Je me suis particulièrement attachée à découvrir les façons dont le corps handicapé est utilisé dans ces visions du futur, présenté à la fois comme une présence/absence métaphorique et corporelle. J'explique que le handicap est renié de deux façons dans ces futures : premièrement, la valeur d'un futur tiers qui inclut les personnes handicapées n'est pas reconnue, tandis que la valeur d'un futur libre de toute handicap est vue comme allant de soi. Deuxièmement, la nature politique du handicap, à savoir sa position comme catégorie contestable et toujours en débat, n'est pas reconnue. (…) Voir le handicap comme un fait monolithique du corps, comme appartenant à un au-delà par rapport au royaume du politique, ainsi que par rapport à celui du débat et du désaccord, renseigne sur l'impossibilité d'imaginer différemment le handicap et les futures porteurs de handicaps ».
Charlotte Puiseux