Les théories crip sont un mélange de disability studies et de théorie queer, qui prennent aussi un ancrage dans le concept d’intersectionnalité.
Elles réfléchissent donc, à partir de la situation dite ‘de handicap’ aux questions de croisements des identités (comment le handicap croise d’autres identités comme le genre, la race, ou l’orientation sexuelle par exemple). Elles abordent les questions de désidentification, de mouvance des identités (par rapport à l’identité handicapée, et notamment la place des handicaps dits invisibles). Elles font également une place importante à la question de la sexualité et de comment le handicap impacte et/ou peut révéler cette dernière.
Elles réfléchissent donc, à partir de la situation dite ‘de handicap’ aux questions de croisements des identités (comment le handicap croise d’autres identités comme le genre, la race, ou l’orientation sexuelle par exemple). Elles abordent les questions de désidentification, de mouvance des identités (par rapport à l’identité handicapée, et notamment la place des handicaps dits invisibles). Elles font également une place importante à la question de la sexualité et de comment le handicap impacte et/ou peut révéler cette dernière.
Bref rappel sur ce que sont les disability studies
Les disability studies , ou études sur le handicap en français, se sont développées beaucoup plus tôt qu'en France dans les pays anglo-saxons, et notamment aux États-Unis ou en Grande Bretagne. C'est dans certaines universités états-uniennes que démarre, dès les années 1960, le mouvement que l'on va appeler 'le mouvement des droits civiques pour les personnes handicapées' porté essentiellement sur des revendications de droits pour les personnes handis. De ce mouvement découler a toute une théorisation, et surtout un nouveau modèle du handicap qui va être appelé 'modèle social', et qui va venir en opposition au 'modèle médical' du handicap alors largement utilisé. Un des principaux théoriciens de ce modèle social est Mike Oliver, universitaire britannique et militant handicapé (il est en fauteuil) pour les droits des personnes handicapées. Il est professeur émérite de disability studies à l’université de Greenwich.
Le modèle social, mis en avant par des personnes elles mêmes hand icapées, présente donc le handicap comme une expérience collective d'un environnement inadapté. Le handicap n'est donc plus rattaché à un corps individuel qui en serait responsable par le fait qu'il soit défaillant, mais le handicap est créé par le milieu dans lequel se trouve la personne. Ce modèle va plus loin dans la compréhension du handicap en expliquant la construction sociale des handicaps qui apparaissent alors comme des phénomènes de domination produit par une société pensée par et pour les valides.
La France a eu échos assez tard de ce modèle social, et est restée principalement sur une vision médicale du handicap, continuant de le percevoir comme une défaillance individuelle qu'il faut contenir, soigner, même guérir, ayant donc tendance à vouloir le traiter dans des institutions spécialisées. La loi de 2005, pilier de la politique du handicap en France, est d'ailleurs le reflet de cette tradition médicale française mélangée à des conceptions du modèle social, distillées notamment via les instances internationales qui ont adopté ce modèle ( ONU).
Le modèle social, mis en avant par des personnes elles mêmes hand icapées, présente donc le handicap comme une expérience collective d'un environnement inadapté. Le handicap n'est donc plus rattaché à un corps individuel qui en serait responsable par le fait qu'il soit défaillant, mais le handicap est créé par le milieu dans lequel se trouve la personne. Ce modèle va plus loin dans la compréhension du handicap en expliquant la construction sociale des handicaps qui apparaissent alors comme des phénomènes de domination produit par une société pensée par et pour les valides.
La France a eu échos assez tard de ce modèle social, et est restée principalement sur une vision médicale du handicap, continuant de le percevoir comme une défaillance individuelle qu'il faut contenir, soigner, même guérir, ayant donc tendance à vouloir le traiter dans des institutions spécialisées. La loi de 2005, pilier de la politique du handicap en France, est d'ailleurs le reflet de cette tradition médicale française mélangée à des conceptions du modèle social, distillées notamment via les instances internationales qui ont adopté ce modèle ( ONU).
Liens que la notion de handicap peut avoir avec le queer
Les apports des théories queer sur les notions de déconstruction des identités, de redéfinition du légitime e t de l'illégitime, et de revalorisation du stigmate, donnaient des outils essentiels pour repenser le handicap.
En ce qui concerne la déconstruction des identités, le mouvement pour les droits civiques des personnes handis et les disability studies , après de fortes revendications identitaires basées sur la demande de reconnaissance d'un statut de personne 'handicapée', connurent certaines critiques en leur sein. La question portée par les personnes dont le handicap ne remplissait pas les critères socialement établis vint remettre en cause l’image de la personne handicapée et l’identité qui en avait été revendiquée par le mouvement des droits civiques . L'image du handicap visible, de la personne en fauteuil ou avec une canne blanche, ayant pris trop de place , ces individus dont le handicap ne se voyait pas mais avait de réels impacts sur leur vie quotidienne, ressentirent la nécessité de porter d'autres considérations sur le handicap. La possibilité très facile de passer du statut de valide à celui de handicapé, la multiplicité des handicaps, la visibilité ou non de ces derniers, sont autant de réorganisations identitaires qu'il apparaissait urgent de repenser.
Ce désir de décloisonner l’identité handicapée s’inscrit dans une démarche plus large pour repenser le handicap, et notamment d’opérer un retournement du stigmate pour que ce qui est jugé illégitime par la société retrouve une certaine valeur. Tout comme Judith Butler l'a fait dans Ces corps qui comptent au sujet de l'hétérosexualité, le handicap, et s on pendant la validité, interrogent ce qui est socialement considéré comme 'abject', 'illégitime', comme 'désirable' dans des corps jugés asexués, comme 'normal' dans la sexualité. Ils interrogent aussi sur la notion de 'performativité' dans le handicap et la validité, ainsi que la reproduction d'un impératif validiste apparaissant comme naturel.
Les positions où les corps handicapés sont perçus très négativement, comme des corps représentant le pendant maléfique des corps valides, comportent des possibilités de réappropriations du stigmate telles qu'elles ont été développées dans les théories queer. Ces dernières apparaissaient aussi comme un outil pour repenser les mythes validistes présentant les personnes handicapées comme asexuées et indésirables (les personnes handicapées sont communément pensées comme n'ayant pas de sexualité, pas de désirs à cause de leur handicap). Ou alors, elles sont sursexualisées car étant l'objet de fantasmes précis parce que handicapées (on peut penser au dévots qui sont souvent des hommes attirés par des femmes handicapées car nourrissant pour leur handicap une véritable fétichisation).
La sexualité, qui est un élément majeur de la pensée queer, est, en effet, souvent à repenser à la lumière du handicap car ce dernier offre un rapport au monde différent que celui balisé par les normes dominantes. La mise au placard, c'est-à-dire le rejet, le fait de mettre à l'écart sans considérer la personne à qui on a à faire dans sa multiplicité, est tout aussi bien provoqué e par une orientation sexuelle différente, un genre différent que par un handicap ; le rapport au corps différent est ici central et a une dimension aussi bien queer que crip . Le coming-out, habituellement associé aux personnes homosexuel-les, est également une expérience bien connue des personnes ayant un handicap non visible qui, si elles veulent avoir une compensation pour leurs difficultés, doivent 'avouer' leur handicap quitte à en subir des retours stigmatisants.
Le handicap ré-interroge les normes corporelles dans les enjeux de la sexualité, du désir, de ce que l’on attend des corps genrés (on peut penser au travail d'Anne Cécile Mouget , doctorante à qui interroge comment le handicap impacte la masculinité au sein d'un couple hétérosexuel. L'homme étant sensé re-présenter la force, la virilité, la protection... Tout ce qui est en opposition à l'image socialement accolée au handicap). On peut également penser à la façon dont le handicap impacte l'image sociale de la féminité, aussi bien par rapport au corps de la p ersonne qui peut se voir atrophié, déformé... tout le contraire du sexy que l'on attend du corps des femmes. Mais aussi par rapport au rôle social des femmes qui fait que le handicap peut empêcher d’apparaître comme une bonne épouse (ne sera pas capable de s'occuper de la maison, ne pourra pas satisfaire sexuellement son mari) et comme une bonne mère (ne pourra pas s'occuper des enfants, ne pourra peut être même pas se reproduire). En ce sens, le handicap permet de repenser les normes au sein des genres et de la sexualité, d'être un outil de lutte apportant de nouvelles configurations pour s'opposer à la domination du système patriarcal et hétérocentriste.
Le développement du concept d’intersectionnalité permet aussi de donner un essor aux théories crip. Certaines personnes handis, ayant notamment d'autres caractéristiques répondant à des catégories sociales opprimées comme le fait d'être une femme, d'être non blanche ou lesbienne par exemple, commencèrent à se distancier d'un mouvement handis jugé trop masculin, blanc et hétérosexuel : on peut par exemple penser à Patty Bernes qui est une femme non blanche handicapée qui se revendique comme queer, et qui est à l’origine du projet artistique Sins Invalid . Il s’agit d’un projet créé en 2006 dans le but de croiser différents types d’oppressions autour du handicap et de la sexualité. L’idée est que la sexualité est une composante de l’oppression, que ce soit chez les personnes handicapées, racialisées ou queer. Leur but consistait à créer un événement autour des personnes handicapées non blanches et queer . Les revendications des acteur-es de Sins Invalid s’articulent autour de la notion de « justice handicapée », et veulent incarner l'amour et la sexualité dans toute leur diversité humaine. La justice handicapée es t une idée que les membres de Sins Invalid défendent particulièrement ; il s’agit d’une justice sociale et économique pour toutes les personnes handicapées, recouvrant tous types de handicaps et toutes situations dans lesquelles les personnes se trouvent ( institutions, à domicile...). Cette justice doit passer d'une vision individuelle à une vision collective, et se rattache à la notion de droits de l'homme en général. Les membres de Sins Invalid posent le fait que les corps doivent être mis en contexte, et que le handicap ne peut être exclu d'un contexte politique. La libération collective des personnes handicapées est liée au démantèlement de tous les systèmes d'oppressions, raison pour laquelle il faut adopter une vision intersectionnelle dans la dénonciation de ces oppressions.
La justice handicapée est, pour les membres de Sins Invalid, forcément anticapitaliste, car en Occident le handicap est construit par rapport à la notion de travail L’argumentaire de Sins Invalid est que les personnes handicapées apparaissent comme les dépositaires culturels de la peur que les gens ont de
leur propre corps. Le handicap s'oppose à la beauté, au pouvoir, il représente les parties non désirées du corps, la mortalité, ce que cela signifie lorsque le corps ne fait pas exactement ce que l'on attend de lui. Les gens prennent tout cela et le projettent sur les personnes handicapées. Le but des spectacles de Sins Invalid est la décolonisation de tous ces discours normatifs afin de les remplacer par des discours positifs où les personnes handicapées sont belles, désirables, resexualisées (puisqu’elles sont souvent perçues comme n’ayant pas de sexualité). On peut lire ces mots sur le site Internet :
« Nos histoires, ainsi profondément analysées, ouvrent des voies pour passer d 'une politique identitaire à une unité parmi toutes les personnes opprimées, posant les bases d'une revendication collective de libération et de beauté »
Sins Invalid est un exemple de désidentification opérée par les personnes handicapées elles mêmes, qui cherche à replacer l'objet phobique qu’est le handicap, et donc la personne qui en est porteuse, pour le mettre au cœur de s représentations positives de beauté et de désir. Le concept de désidentification est développé par le théoricien queer José Esteban Muñoz dans son livre intitulé Désidentification. Il explique que :
« La désidentification a pour but de décrire les stratégies de survie que le sujet minoritaire met en place pour négocier avec la sphère publique majoritaire phobique qui élude et qui punit continuellement l’existence de sujets qui ne se conforment pas aux phantasmes de la citoyenneté normative »
Il s’agit donc de reconfigurer l’objet phobique, à l’image de la couverture de son livre qui représente une artiste performeuse transgenre. Par ces performances queer, l’idée est de reconfigurer l’objet d’exclusion, phobique, comme un objet sexuel et glamour. Le but est de faire passer ce corps de la marginalité, du dégoût et du rejet à quelque chose qui serait l’objet d’une création artistique très attirante, et de reconfigurer ces représentations de logiques culturelles de l’intérieur en agissant sur des figures marginales et rejetées.
Ce processus est donc repris par des personnes handicapées telles que les membres de Sins Invalid pour redonner confiance en elles aux personnes handicapées, afin qu’elles puissent se reconnaître positivement dans le regard de l’autre, et qu’elles accèdent ainsi à une puissance émancipatrice leur permettant de s'affirmer en dehors des normes du système validiste. En allant au delà du simple constat de la discrimination, il s’agit pour les membres de Sins Invalid de revendiquer le handicap comme flexible, multiple, synonyme d’autres rapports au monde tout aussi enrichissants, et comme un fabuleux outil subversif pour échapper aux diktats de la normalité.
En ce qui concerne la déconstruction des identités, le mouvement pour les droits civiques des personnes handis et les disability studies , après de fortes revendications identitaires basées sur la demande de reconnaissance d'un statut de personne 'handicapée', connurent certaines critiques en leur sein. La question portée par les personnes dont le handicap ne remplissait pas les critères socialement établis vint remettre en cause l’image de la personne handicapée et l’identité qui en avait été revendiquée par le mouvement des droits civiques . L'image du handicap visible, de la personne en fauteuil ou avec une canne blanche, ayant pris trop de place , ces individus dont le handicap ne se voyait pas mais avait de réels impacts sur leur vie quotidienne, ressentirent la nécessité de porter d'autres considérations sur le handicap. La possibilité très facile de passer du statut de valide à celui de handicapé, la multiplicité des handicaps, la visibilité ou non de ces derniers, sont autant de réorganisations identitaires qu'il apparaissait urgent de repenser.
Ce désir de décloisonner l’identité handicapée s’inscrit dans une démarche plus large pour repenser le handicap, et notamment d’opérer un retournement du stigmate pour que ce qui est jugé illégitime par la société retrouve une certaine valeur. Tout comme Judith Butler l'a fait dans Ces corps qui comptent au sujet de l'hétérosexualité, le handicap, et s on pendant la validité, interrogent ce qui est socialement considéré comme 'abject', 'illégitime', comme 'désirable' dans des corps jugés asexués, comme 'normal' dans la sexualité. Ils interrogent aussi sur la notion de 'performativité' dans le handicap et la validité, ainsi que la reproduction d'un impératif validiste apparaissant comme naturel.
Les positions où les corps handicapés sont perçus très négativement, comme des corps représentant le pendant maléfique des corps valides, comportent des possibilités de réappropriations du stigmate telles qu'elles ont été développées dans les théories queer. Ces dernières apparaissaient aussi comme un outil pour repenser les mythes validistes présentant les personnes handicapées comme asexuées et indésirables (les personnes handicapées sont communément pensées comme n'ayant pas de sexualité, pas de désirs à cause de leur handicap). Ou alors, elles sont sursexualisées car étant l'objet de fantasmes précis parce que handicapées (on peut penser au dévots qui sont souvent des hommes attirés par des femmes handicapées car nourrissant pour leur handicap une véritable fétichisation).
La sexualité, qui est un élément majeur de la pensée queer, est, en effet, souvent à repenser à la lumière du handicap car ce dernier offre un rapport au monde différent que celui balisé par les normes dominantes. La mise au placard, c'est-à-dire le rejet, le fait de mettre à l'écart sans considérer la personne à qui on a à faire dans sa multiplicité, est tout aussi bien provoqué e par une orientation sexuelle différente, un genre différent que par un handicap ; le rapport au corps différent est ici central et a une dimension aussi bien queer que crip . Le coming-out, habituellement associé aux personnes homosexuel-les, est également une expérience bien connue des personnes ayant un handicap non visible qui, si elles veulent avoir une compensation pour leurs difficultés, doivent 'avouer' leur handicap quitte à en subir des retours stigmatisants.
Le handicap ré-interroge les normes corporelles dans les enjeux de la sexualité, du désir, de ce que l’on attend des corps genrés (on peut penser au travail d'Anne Cécile Mouget , doctorante à qui interroge comment le handicap impacte la masculinité au sein d'un couple hétérosexuel. L'homme étant sensé re-présenter la force, la virilité, la protection... Tout ce qui est en opposition à l'image socialement accolée au handicap). On peut également penser à la façon dont le handicap impacte l'image sociale de la féminité, aussi bien par rapport au corps de la p ersonne qui peut se voir atrophié, déformé... tout le contraire du sexy que l'on attend du corps des femmes. Mais aussi par rapport au rôle social des femmes qui fait que le handicap peut empêcher d’apparaître comme une bonne épouse (ne sera pas capable de s'occuper de la maison, ne pourra pas satisfaire sexuellement son mari) et comme une bonne mère (ne pourra pas s'occuper des enfants, ne pourra peut être même pas se reproduire). En ce sens, le handicap permet de repenser les normes au sein des genres et de la sexualité, d'être un outil de lutte apportant de nouvelles configurations pour s'opposer à la domination du système patriarcal et hétérocentriste.
Le développement du concept d’intersectionnalité permet aussi de donner un essor aux théories crip. Certaines personnes handis, ayant notamment d'autres caractéristiques répondant à des catégories sociales opprimées comme le fait d'être une femme, d'être non blanche ou lesbienne par exemple, commencèrent à se distancier d'un mouvement handis jugé trop masculin, blanc et hétérosexuel : on peut par exemple penser à Patty Bernes qui est une femme non blanche handicapée qui se revendique comme queer, et qui est à l’origine du projet artistique Sins Invalid . Il s’agit d’un projet créé en 2006 dans le but de croiser différents types d’oppressions autour du handicap et de la sexualité. L’idée est que la sexualité est une composante de l’oppression, que ce soit chez les personnes handicapées, racialisées ou queer. Leur but consistait à créer un événement autour des personnes handicapées non blanches et queer . Les revendications des acteur-es de Sins Invalid s’articulent autour de la notion de « justice handicapée », et veulent incarner l'amour et la sexualité dans toute leur diversité humaine. La justice handicapée es t une idée que les membres de Sins Invalid défendent particulièrement ; il s’agit d’une justice sociale et économique pour toutes les personnes handicapées, recouvrant tous types de handicaps et toutes situations dans lesquelles les personnes se trouvent ( institutions, à domicile...). Cette justice doit passer d'une vision individuelle à une vision collective, et se rattache à la notion de droits de l'homme en général. Les membres de Sins Invalid posent le fait que les corps doivent être mis en contexte, et que le handicap ne peut être exclu d'un contexte politique. La libération collective des personnes handicapées est liée au démantèlement de tous les systèmes d'oppressions, raison pour laquelle il faut adopter une vision intersectionnelle dans la dénonciation de ces oppressions.
La justice handicapée est, pour les membres de Sins Invalid, forcément anticapitaliste, car en Occident le handicap est construit par rapport à la notion de travail L’argumentaire de Sins Invalid est que les personnes handicapées apparaissent comme les dépositaires culturels de la peur que les gens ont de
leur propre corps. Le handicap s'oppose à la beauté, au pouvoir, il représente les parties non désirées du corps, la mortalité, ce que cela signifie lorsque le corps ne fait pas exactement ce que l'on attend de lui. Les gens prennent tout cela et le projettent sur les personnes handicapées. Le but des spectacles de Sins Invalid est la décolonisation de tous ces discours normatifs afin de les remplacer par des discours positifs où les personnes handicapées sont belles, désirables, resexualisées (puisqu’elles sont souvent perçues comme n’ayant pas de sexualité). On peut lire ces mots sur le site Internet :
« Nos histoires, ainsi profondément analysées, ouvrent des voies pour passer d 'une politique identitaire à une unité parmi toutes les personnes opprimées, posant les bases d'une revendication collective de libération et de beauté »
Sins Invalid est un exemple de désidentification opérée par les personnes handicapées elles mêmes, qui cherche à replacer l'objet phobique qu’est le handicap, et donc la personne qui en est porteuse, pour le mettre au cœur de s représentations positives de beauté et de désir. Le concept de désidentification est développé par le théoricien queer José Esteban Muñoz dans son livre intitulé Désidentification. Il explique que :
« La désidentification a pour but de décrire les stratégies de survie que le sujet minoritaire met en place pour négocier avec la sphère publique majoritaire phobique qui élude et qui punit continuellement l’existence de sujets qui ne se conforment pas aux phantasmes de la citoyenneté normative »
Il s’agit donc de reconfigurer l’objet phobique, à l’image de la couverture de son livre qui représente une artiste performeuse transgenre. Par ces performances queer, l’idée est de reconfigurer l’objet d’exclusion, phobique, comme un objet sexuel et glamour. Le but est de faire passer ce corps de la marginalité, du dégoût et du rejet à quelque chose qui serait l’objet d’une création artistique très attirante, et de reconfigurer ces représentations de logiques culturelles de l’intérieur en agissant sur des figures marginales et rejetées.
Ce processus est donc repris par des personnes handicapées telles que les membres de Sins Invalid pour redonner confiance en elles aux personnes handicapées, afin qu’elles puissent se reconnaître positivement dans le regard de l’autre, et qu’elles accèdent ainsi à une puissance émancipatrice leur permettant de s'affirmer en dehors des normes du système validiste. En allant au delà du simple constat de la discrimination, il s’agit pour les membres de Sins Invalid de revendiquer le handicap comme flexible, multiple, synonyme d’autres rapports au monde tout aussi enrichissants, et comme un fabuleux outil subversif pour échapper aux diktats de la normalité.
Apparition des théories crip et premiers travaux
Le mot crip n’existe pas dans le dictionnaire anglais Oxford , mais le nom cripple signifie « estropié, boiteux, infirme, invalide ». On peut donc imaginer que crip, réduction de cripple, soit, à la lumière de queer, une réappropriation d’un mot stigmatisant. On peut également supposer que la consonance du mot fait référence à creep, utilisé dans les jeux vidéo/informatiques, pour désigner des petites bêtes bizarres, une forme de sous-espèce.
Les travaux crip commencent à émerger autour des années 2000 :
Il y a également des militant-es crip qui développent des projets artistiques :
Les travaux crip commencent à émerger autour des années 2000 :
- Christopher Bell (1974 2009) qui aborde le croisement entre handicap et racisme. Il fut un universitaire qui travailla dans le champ des questions liées à la séropositivité et au sida, à la race et à l’ethnicité, des questions qui le touchaient toutes personnellement. Il fut président de la Society for Disability Studies et contribua aux discussions nationales sur la race, l’ethnie et les études sur le handicap. Dans son livre posthume, Blackness and Disability: Critical Examinations and Cultural Interventions, il critique les études sur le handicap comme une "discipline de blancs " qui ignore la dimension raciale lorsqu’elle parle du handicap.
- Robert McRuer (1966) qui croisent handicap et homosexualité, deux sujets qui le touchent personnellement (McRuer ayant des troubles obsessionnels compulsifs). C’est un théoricien états-uniens qui est actuellement professeur d’anglais à l’université de Washington . Le travail de McRuer se centre sur les études queer Culturelles et la théorie critique. Il situe le handicap dans les économies politiques actuelles, et s’interroge sur le rôle que jouent les mouvements de personnes handicapées et les représentations pour contrer les formes hégémoniques de globalisation. Son premier livre est centré sur les écrivains LGBT contemporains , particulièrement des écrivains LGBT de couleurs, et son livre plus récent traite des emplacements culturels où le queer et le handicap contestent l’hétéronormativité et l’injonction à la validité ; le titre est Crip Theory: Cultural Signs of Queerness and Disability.
- Alison Kafer croise handicap et féminisme , et est elle même en situation de handicap visible puisqu’elle est en fauteuil. Elle est professeure d’études féministes à l’université de Southwestern au Texas. Dans Feminist, queer, Crip Alison Kafer imagine un avenir différent pour le handicap et les corps handicapés. Mettant au défi les façons dont les idées sur l'avenir et le temps ont été déployées dans un système où règne l’injonction à la validité et le fait d'être apte, Kafer rejette l'idée du handicap comme une limite prédéterminée. Elle mélange différentes théories, mouvements et identités comme celles de justice environnementale, de justice reproductrice, la théorie cyborg, les politiques transgenres et celle sur le handicap qui sont typiquement discutées isolément et elle invite ainsi à de nouvelles possibilités pour des avenirs crip et des alliances feminist/queer/crip.
- Anna Mollow, elle, aborde plutôt le thème du handicap invisible partant de son expérience personnelle du handicap environnemental. Elle est professeure adjointe au département d’études féministes et de genres de l’université de Sonoma en Californie. Elle a co-édité avec Robert McRuer, le livre Sex and Disability, et avec Merri Lisa Johnson le livre DSM CRIP
- Merri Lisa Johnson (dont nous reparlerons plus tard) et qui est état limite (borderline). Elle enseigne aux États Unis en Caroline du sud , est également administratrice du programme des études féministes et de genres et est auteure . Elle s’est mariée récemment à sa partenaire féminine. Elle a notamment publié Girl in Need of A Tourniquet. Memoir of A Borderline Personality.
Il y a également des militant-es crip qui développent des projets artistiques :
- Lyric Seal, écrivaine, danseuse et actrice porno en fauteuil (http://littlebeasthood.tumblr.com)
- Jes Sachse alias Kid Crooked. Jes Sachse est une auteure basée à Toronto, journaliste, et artiste qui fait également des films porno . Elle a le syndrome de Freeman Sheldon qui se caractérise par des contractures congénitales, un visage caractéristique appelé « face du siffleur » car très creux, un pied
bot et des contractures articulaires. Son travail se veut provocateur, inspiré du champ queer, de la poésie et des identité s en révolte. Elle mélange archétypes auto représentations, sarcasme et contradiction. Les histoires que Sachse racontent mélangent espaces publics et privés pour présenter au public une invitation à regarder. - Loree Erickson est aussi une actrice porno handi en fauteuil et queer (http://www.femmegimp.org). Elle vient également de soutenir une thèse à l'université de York, Canada, intitulée : " Unbreaking Our Hearts: Cultures of Un/Desirability & the Transformative Potential of Queer Crip Porn".
Concepts queer au service du handicap pour devenir crip
La notion d'abject est utilisée chez Butler pour parler de ce qui ne rentre pas dans les normes, ce qui est rejeté hors des frontières de la normalité, notamment en ce qui concerne les genres et les sexualités. C'est un mot très fort puisqu'il signifie 'ce qui provoque le dégoût, le mépris, qui évoque une dégradation morale'. Butler montre ainsi le rapport de pouvoir que les normes ont sur les personnes, poussant celles qui n'y correspondent pas dans un domaine d'abjection. Ou pour reprendre les propos de Lauree Erickson, l'abjecte défini les 'corps du dehors', ceux qui défient ouvertement les normes. Elle identifie les lieux de honte tels que la dépendance, la sexualité, la vulnérabilité, ainsi que le fait d'être un corps du 'dehors' perturbant les normes, mais elle met aussi en avant l'idée que ces caractéristiques sont des sources de libérations sexuelles et corporelles potentielles utilisables par tous les corps.
Le Queer se définit comme des pratiques controversées qui travaillent l'abjection et la honte pour les transformer en puissances d'action politique. Il interroge les questions de la légitimité et de l'illégitimité, mais l'illégitimité comprise comme une force positive, et non comme une identité négative. Cette question de la légitimité est en rapport avec ce qui peut être défini comme humain. Il semble alors évident que le handicap rentre dans cette définition de l'abjecte, provoquant le dégoût, le mépris, la dégradation, voire l'inhumanité de celles et c eux qui en sont porteur-euses.
Une autre notion qu'utilise Judith Butler pour parler de l'hétérosexualité est celle reprise à Foucauld 'd'idéal régulateur'. Mais comme nous le prouve le théoricien crip R. McRuer dans Crip Theory: Cultural Signs of Queerness and Disability, cela peut également s'appliquer à la validité. La validité apparaît comme un idéal régulateur, c'est à dire comme un symbolique qui semble immuable et présent de tout temps alors que c'est faux. La validité est, en fait, produite par des normes qui imposent des frontières, des espaces de séparation. Elle est une identité socialement construite, mais elle n’apparaît jamais comme telle, elle apparaît comme naturelle.
La notion de 'performativité', que Butler utilise pour expliquer comment les genres sont socialement construits par une pratique de répétitions, ainsi que par le fait même de 'dire les choses', peut parfaitement s'appliquer au handicap. Cela se voit notamment dans les handicaps non visibles où les personnes sont obligées de 'sur jouer' leur handicap pour être prises au sérieux, devant ainsi le faire rentrer dans les codes socialement attendus du handicap.
Le handicap n'est pourtant pas une description statique de ce que l'on est et de ce que l'on a, mais il se construit au travers de normes qui excluent de la viabilité, des normes qui présentent dans l'imaginaire culturel les corps handicapés comme ne pouvant être capables. C'est en fait les conceptions validistes qui matérialisent les corps comme handicapés , qui leur donnent une existence en tant que corps handicapés.
Pour Erickson, les notions de crip et de gimp (qui ont globalement la même signification) sont des façons pour les personnes handicapées de résister à cette emprise de la honte sur leurs corps et leurs sexualités, à la lumière de ce qu' a pu être le queer pour d'autres catégories de personnes. Comme le dit Eli Clare queer et cripple sont cousins (écrivain, militant qui se présente comme « blanc, handicapé et queer ». Il a enseigné dans différentes écoles aux états-uniens et au Canada sur le handicap, les identités queer/trans et la justice sociale ). Il écrit « des mots pour choquer, des mots pour diffuser la fierté et l'amour de soi, des mots pour résister à la haine internalisée, des mots pour aider à forger la politique ». Queer et crip/gimp partagent une « limite externe provocante » et une « vérité intérieure apaisante ». Grâce à une relation provocante avec la normalité certains peuvent trouver un apaisement intérieur.
Erickson insiste beaucoup sur la possibilité du crip d'offrir de nouveaux rapports au mon de et aux autres. Il permet de repenser les notions de dépendance, de vulnérabilité qui sont présentes chez tout être humain, mais exacerbées chez certaines personnes handis. Repenser ces notions à la lumière des expériences crip permet de nous rassurer su r le fait qu'elles font parties de la vie, qu'elles ne sont pas à renier car inévitables d'une façon ou d'une autre, et qu'elles permettent d'accéder à une relation à l'autre beaucoup plus riche. La dépendance et la vulnérabilité sont d'ailleurs très présentes dans la sexualité même, et ne plus en avoir peur permet donc une meilleure compréhension de son corps sexuel et de ses désirs. Pour Erickson, l'expérience de la pornographie comme actrice de son propre corps et de ses désirs a été une révolution, et lui a permis de reprendre le pouvoir sur elle même. Pouvoir qu'elle avait l’impression d'avoir perdu à cause de l'exposition quotidienne et répétée de son corps aux personnes qui viennent l'aider. Elle argumente donc en faveur d'une pornographie auto-initiée, féministe crip et handi qui permettrait de placer le pouvoir de la représentation dans les mains des personnes handicapées, et d'avoir ainsi une portée politique.
Le Queer se définit comme des pratiques controversées qui travaillent l'abjection et la honte pour les transformer en puissances d'action politique. Il interroge les questions de la légitimité et de l'illégitimité, mais l'illégitimité comprise comme une force positive, et non comme une identité négative. Cette question de la légitimité est en rapport avec ce qui peut être défini comme humain. Il semble alors évident que le handicap rentre dans cette définition de l'abjecte, provoquant le dégoût, le mépris, la dégradation, voire l'inhumanité de celles et c eux qui en sont porteur-euses.
Une autre notion qu'utilise Judith Butler pour parler de l'hétérosexualité est celle reprise à Foucauld 'd'idéal régulateur'. Mais comme nous le prouve le théoricien crip R. McRuer dans Crip Theory: Cultural Signs of Queerness and Disability, cela peut également s'appliquer à la validité. La validité apparaît comme un idéal régulateur, c'est à dire comme un symbolique qui semble immuable et présent de tout temps alors que c'est faux. La validité est, en fait, produite par des normes qui imposent des frontières, des espaces de séparation. Elle est une identité socialement construite, mais elle n’apparaît jamais comme telle, elle apparaît comme naturelle.
La notion de 'performativité', que Butler utilise pour expliquer comment les genres sont socialement construits par une pratique de répétitions, ainsi que par le fait même de 'dire les choses', peut parfaitement s'appliquer au handicap. Cela se voit notamment dans les handicaps non visibles où les personnes sont obligées de 'sur jouer' leur handicap pour être prises au sérieux, devant ainsi le faire rentrer dans les codes socialement attendus du handicap.
Le handicap n'est pourtant pas une description statique de ce que l'on est et de ce que l'on a, mais il se construit au travers de normes qui excluent de la viabilité, des normes qui présentent dans l'imaginaire culturel les corps handicapés comme ne pouvant être capables. C'est en fait les conceptions validistes qui matérialisent les corps comme handicapés , qui leur donnent une existence en tant que corps handicapés.
Pour Erickson, les notions de crip et de gimp (qui ont globalement la même signification) sont des façons pour les personnes handicapées de résister à cette emprise de la honte sur leurs corps et leurs sexualités, à la lumière de ce qu' a pu être le queer pour d'autres catégories de personnes. Comme le dit Eli Clare queer et cripple sont cousins (écrivain, militant qui se présente comme « blanc, handicapé et queer ». Il a enseigné dans différentes écoles aux états-uniens et au Canada sur le handicap, les identités queer/trans et la justice sociale ). Il écrit « des mots pour choquer, des mots pour diffuser la fierté et l'amour de soi, des mots pour résister à la haine internalisée, des mots pour aider à forger la politique ». Queer et crip/gimp partagent une « limite externe provocante » et une « vérité intérieure apaisante ». Grâce à une relation provocante avec la normalité certains peuvent trouver un apaisement intérieur.
Erickson insiste beaucoup sur la possibilité du crip d'offrir de nouveaux rapports au mon de et aux autres. Il permet de repenser les notions de dépendance, de vulnérabilité qui sont présentes chez tout être humain, mais exacerbées chez certaines personnes handis. Repenser ces notions à la lumière des expériences crip permet de nous rassurer su r le fait qu'elles font parties de la vie, qu'elles ne sont pas à renier car inévitables d'une façon ou d'une autre, et qu'elles permettent d'accéder à une relation à l'autre beaucoup plus riche. La dépendance et la vulnérabilité sont d'ailleurs très présentes dans la sexualité même, et ne plus en avoir peur permet donc une meilleure compréhension de son corps sexuel et de ses désirs. Pour Erickson, l'expérience de la pornographie comme actrice de son propre corps et de ses désirs a été une révolution, et lui a permis de reprendre le pouvoir sur elle même. Pouvoir qu'elle avait l’impression d'avoir perdu à cause de l'exposition quotidienne et répétée de son corps aux personnes qui viennent l'aider. Elle argumente donc en faveur d'une pornographie auto-initiée, féministe crip et handi qui permettrait de placer le pouvoir de la représentation dans les mains des personnes handicapées, et d'avoir ainsi une portée politique.
Le crip comme critique du queer
Cependant, ce lien entre théories queer et crip n'est pas toujours évident pour les théoriciennes crip eux/elles mêmes qui reprochent au queer une mauvaise considération de leur statut de personnes handis.
A la lumière du texte de Merri Lisa Johnson, Bad romance : a crip feminist critique of queer failure on peut voir que certaines expériences prônées dans la vision queer ne sont pas du tout bien vécues lorsqu’elles sont imposées par le handicap. Pour elle, la pensée queer ne prend absolument pas assez en compte les subjectivités crip, elle les ignore en ne les nommant jamais alors qu'elles inondent son contenu. L'auteure dit clairement qu'il y a « une répugnance de la théorie queer à s'adresser aux personnes handicapées », et cette répugnance a été soulevée par divers théoricien-nes crip qui, bien que se reconnaissant dans le queer, ne s'y retrouvent pas en tant que personnes handicapées. Elle s'appuie sur l'expérience des théoricien-nes queer de couleur qui se sont éloigné-es de la théorie queer principale, jugeant que cette dernière ne prenait pas assez en compte leurs spécificités et avait une vision trop blanco centrée. M. L. Johnson estime donc que les théoricien-nes queer doivent reconnaître le privilège validiste corporel/intelectuel comme un facteur tordant potentiellement leurs interprétations des textes parlant de la maladie et du handicap. Mais malheureusement, ce n'est absolument pas le cas à l'heure actuelle.
Merri Lisa Johnson est une femme ayant des troubles psychiques dits 'états limites' (borderline), et elle critique dans son texte intitulé 'Bad romance : a crip feminist critique of queer failure' failure', la notion de 'défaillance' (failure) prônée dans le queer, et notamment dans le texte d'Halberstam : Queer Art of Failure. Elle y explique que, lorsque des expériences queer de désidentifiation apparaissent comme libératrices et émancipatrices, elles deviennent subies et destructrices rattachées à certains handicaps tel que le sien. L'auteure aborde ici un point essentiel qui est que le queer a complètement raté sa compréhension de la folie, et donc du handicap psychique, en présentant cette dernière comme un choix conscient de mode de vie, en la privant de toute assise purement individuel et corporel, et en minimisant donc les aspects imprévisibles pour la personne concernée qui ne peut, en fait, les contrôler. Ce côté incontrôlable auquel est soumis la personne est pourtant une grande partie de ce qui créé le handicap, et ne pas le reconnaître reviens donc à ne pas reconnaître le handicap en lui même. Présenter ces manifestations comme un acte volontaire de l'individu qui conteste ainsi la société dans laquelle il vit provoque la négation de l'existence d'un handicap psychique comme dysfonctionnement corporel subi, et abouti au discrédit de ces personnes qui sont vues comme refusant de s'adapter. M. L. Johnson ne nie pas que le fait de s'affranchir de certains repères sociaux peut amener à une forme de folie consentie m ais l'auteure insiste bien sur le fait que cette démarche est volontaire et collective, ce dernier point étant très important pour comprendre le phénomène de résistance sociale qui se joue dans les cas d'expériences de contre culture, et non dans les cas d'expériences de handicaps psychiques. Il y a donc plusieurs niveaux à appréhender dans la compréhension de la désidentification comme défaillance. Nous avons pu voir celui de Munoz, mais Jonhnson en propose un autre :
« Les états limites pourraient être un emplacement de plus, plutôt que moins, ainsi qu'une critique perspicace des affects négatifs qui accompagnent ces défaillances queer (et crip), réfléchissant à ce que nous pourrions appeler un tournant état limite dans la théorie queer »
M. L. Johnson insiste ici sur l'aspect positif de la compréhension des comportements états limites qui apparaissent comme un point de vue apportant de nouvelles significations. Ils permettent notamment de casser et desserrer des binarités, faisant surgir des identités et des phénomènes non marqués comme tels, car c'est souvent les dualismes qui résistent dans les traditions théoriques. Les symptômes sont alors des éléments à prendre en compte, non à rejeter, mais comme faisant partie du rapport au monde de certains individus et modelant ainsi leur façon de voir.
Merri Lisa Johnson s'appuie aussi sur les propos d'Alison Kafer qui se demande si « le temps queer est le temps crip », c’est à dire que le handicap provoque un autre rapport au temps (notamment parce que les personnes handicapées ont souvent besoin de plus de temps pour faire les actes de la vie courante), et que cet autre rapport au temps n’est pas pris en compte dans le queer C'est d'ailleurs un des arguments que le système d'hyper production dans lequel nous vivons utilise le plus régulièrement pour exclure ces corps handicapés qui ne sont pas jugés assez rentables car n'étant pas capables de produire autant et aussi vite qu'un corps valide. Lorsque l'on parle de rentabilité, il ne s'agit pas uniquement de travail et de production rémunérée, mais de tous les actes de la vie quotidienne. Pour certaines personnes handicapées, se lever, se doucher, s'habiller, manger, se déplacer, vivre, en général, prend plus de temps ; les gestes sont plus lents, le corps plus fatiguable, mais aussi les barrières sont plus nombreuses à contourner faute de prise en compte de leurs particularités. Pour d'autres personnes handicapées, le rapport au temps est aussi maqué par certaines expériences traumatiques qui font ressortir la fragilité de la vie, et donc un désir de profiter du temps jugé plus précieux. Dans son livre feminism, queer, crip, Kafer pointe le fait que la théorie queer aurait une vision trop validocentrée qui exclurait les personnes handicapées des activités sociales associées.
Pourtant, comme le rappelle Jonhnson, « le handicap est décrit comme le trope majeur de la disqualification humaine », c'est à dire comme ce qu'il y a de plus illégitime à considérer comme humain (et nous avons vu que le queer s’intéressait à ce qui est considéré comme illégitime) illégitime). Cela se manifeste par une considération différente d'une personne selon qu'elle est handicapée ou non, le handicap étant le facteur qui la fait plus ou moins sortir de l'humanité, ou du moins accepter qu'on la traite d'une façon qu'on refuserait pour les valides. C'est notamment ce qu'a montré A. Kafer en analysant, par exemple, l'histoire d'Asley X, une enfant polyhandicapée qui avait un niveau intellectuel très bas, et dont le corps continuait pourtant de se développer et d'acquérir les caractéristiques d'une femme adulte. Pour arrêter que ce fossé entre son corps et son esprit se creuse d'avantage, ses parents et médecins ont décidé de stopper sa croissance en faisant une hystérectomie et une mastectomie bilatérale. Ce traitement était perçu comme nécessaire par les parents d'Asley, persuadés de la préserver ainsi de souffrance s futures et d'un avenir forcément sombre. Ce procédé paraîtrait complètement choquant s'il était fait sur un enfant valide, mais dans le cas d'Asley X, son handicap l'a rendu légitime. Le handicap est perçu comme un obstacle tellement infranchissable au développement de l'être humain qui ne peut alors atteindre son statut plein et entier, qu'il autorise une considération moins grande de la vie de l'individu qui en est porteur.
Les théories queer utilisent, de plus, tout un réseau de métaphores que Jonhnson juge validistes, comme le font certain es porte étendards de la lutte contre les oppressions telle que Bell Hooks. Pour Jonhnson, la théorie queer exploite les subjectivités minoritaires pour leur résonance métaphoriques, comme, par exemple, c'est le cas pour la folie que le queer utilise pour parler d'expériences contestataires de contre culture. Elle cite à ce sujet le texte de Sami Schalk (professeur spécialisée en études de genres, disability studies littérature afro-américaine et littérature contemporaine dans une université new-yorkaise) Shalk explique dans Metaphorically Speaking: Ableist Metaphors in Feminist Writing que les féministes ont souvent utilisé es les métaphores de la folie, du boitement, de l'immobilité, de la non voyance, de la surdité, et d'autres handicaps de façons variées et pour des buts divers toujours de façon négative. Les féministes ont typiquement positionné le handicap comme opposé au savoir, ou comme un effet négatif du pouvoir et des privilèges liés au genre.
Pour S. Schalk, il faut que les expériences corporelles qui servent de bases à la communication (et donc aux idées abstraites que l’on véhicule dans cette communication) soient repensées, et encore plus dans le féminisme, afin que ce ne soit plus les expériences corporelles des dominants qui écrasent toutes les autres possibilités d’expériences. Une telle domination s’appuie sur des expériences du corps prétendument universelles : tout le monde voit, parle, entend, sent, et bouge de la même façon qui sont en fait celle s issues de la personne valide. Une telle utilisation du répertoire corporel valide traduit dans le langage ne peut s'appuyer que sur un schéma de pensé validocentré puisque nous comprenons et utilisons les métaphores d’un point de vue valide, ce dernier point de vue présentant les expériences corporelles valides comme des expériences universelles d'incarnation.
L'exemple de l'utilisation du mot crip par B. Hooks est assez représentatif du manque de considération pour la question du validisme, y compris chez les autres groupes socio logiquement opprimés. Les autres mouvements militants et/ou théoriques, que ce soit le féminisme ou les théories queer, ont donc aussi beaucoup à apprendre des expériences des personnes handis.
A la lumière du texte de Merri Lisa Johnson, Bad romance : a crip feminist critique of queer failure on peut voir que certaines expériences prônées dans la vision queer ne sont pas du tout bien vécues lorsqu’elles sont imposées par le handicap. Pour elle, la pensée queer ne prend absolument pas assez en compte les subjectivités crip, elle les ignore en ne les nommant jamais alors qu'elles inondent son contenu. L'auteure dit clairement qu'il y a « une répugnance de la théorie queer à s'adresser aux personnes handicapées », et cette répugnance a été soulevée par divers théoricien-nes crip qui, bien que se reconnaissant dans le queer, ne s'y retrouvent pas en tant que personnes handicapées. Elle s'appuie sur l'expérience des théoricien-nes queer de couleur qui se sont éloigné-es de la théorie queer principale, jugeant que cette dernière ne prenait pas assez en compte leurs spécificités et avait une vision trop blanco centrée. M. L. Johnson estime donc que les théoricien-nes queer doivent reconnaître le privilège validiste corporel/intelectuel comme un facteur tordant potentiellement leurs interprétations des textes parlant de la maladie et du handicap. Mais malheureusement, ce n'est absolument pas le cas à l'heure actuelle.
Merri Lisa Johnson est une femme ayant des troubles psychiques dits 'états limites' (borderline), et elle critique dans son texte intitulé 'Bad romance : a crip feminist critique of queer failure' failure', la notion de 'défaillance' (failure) prônée dans le queer, et notamment dans le texte d'Halberstam : Queer Art of Failure. Elle y explique que, lorsque des expériences queer de désidentifiation apparaissent comme libératrices et émancipatrices, elles deviennent subies et destructrices rattachées à certains handicaps tel que le sien. L'auteure aborde ici un point essentiel qui est que le queer a complètement raté sa compréhension de la folie, et donc du handicap psychique, en présentant cette dernière comme un choix conscient de mode de vie, en la privant de toute assise purement individuel et corporel, et en minimisant donc les aspects imprévisibles pour la personne concernée qui ne peut, en fait, les contrôler. Ce côté incontrôlable auquel est soumis la personne est pourtant une grande partie de ce qui créé le handicap, et ne pas le reconnaître reviens donc à ne pas reconnaître le handicap en lui même. Présenter ces manifestations comme un acte volontaire de l'individu qui conteste ainsi la société dans laquelle il vit provoque la négation de l'existence d'un handicap psychique comme dysfonctionnement corporel subi, et abouti au discrédit de ces personnes qui sont vues comme refusant de s'adapter. M. L. Johnson ne nie pas que le fait de s'affranchir de certains repères sociaux peut amener à une forme de folie consentie m ais l'auteure insiste bien sur le fait que cette démarche est volontaire et collective, ce dernier point étant très important pour comprendre le phénomène de résistance sociale qui se joue dans les cas d'expériences de contre culture, et non dans les cas d'expériences de handicaps psychiques. Il y a donc plusieurs niveaux à appréhender dans la compréhension de la désidentification comme défaillance. Nous avons pu voir celui de Munoz, mais Jonhnson en propose un autre :
« Les états limites pourraient être un emplacement de plus, plutôt que moins, ainsi qu'une critique perspicace des affects négatifs qui accompagnent ces défaillances queer (et crip), réfléchissant à ce que nous pourrions appeler un tournant état limite dans la théorie queer »
M. L. Johnson insiste ici sur l'aspect positif de la compréhension des comportements états limites qui apparaissent comme un point de vue apportant de nouvelles significations. Ils permettent notamment de casser et desserrer des binarités, faisant surgir des identités et des phénomènes non marqués comme tels, car c'est souvent les dualismes qui résistent dans les traditions théoriques. Les symptômes sont alors des éléments à prendre en compte, non à rejeter, mais comme faisant partie du rapport au monde de certains individus et modelant ainsi leur façon de voir.
Merri Lisa Johnson s'appuie aussi sur les propos d'Alison Kafer qui se demande si « le temps queer est le temps crip », c’est à dire que le handicap provoque un autre rapport au temps (notamment parce que les personnes handicapées ont souvent besoin de plus de temps pour faire les actes de la vie courante), et que cet autre rapport au temps n’est pas pris en compte dans le queer C'est d'ailleurs un des arguments que le système d'hyper production dans lequel nous vivons utilise le plus régulièrement pour exclure ces corps handicapés qui ne sont pas jugés assez rentables car n'étant pas capables de produire autant et aussi vite qu'un corps valide. Lorsque l'on parle de rentabilité, il ne s'agit pas uniquement de travail et de production rémunérée, mais de tous les actes de la vie quotidienne. Pour certaines personnes handicapées, se lever, se doucher, s'habiller, manger, se déplacer, vivre, en général, prend plus de temps ; les gestes sont plus lents, le corps plus fatiguable, mais aussi les barrières sont plus nombreuses à contourner faute de prise en compte de leurs particularités. Pour d'autres personnes handicapées, le rapport au temps est aussi maqué par certaines expériences traumatiques qui font ressortir la fragilité de la vie, et donc un désir de profiter du temps jugé plus précieux. Dans son livre feminism, queer, crip, Kafer pointe le fait que la théorie queer aurait une vision trop validocentrée qui exclurait les personnes handicapées des activités sociales associées.
Pourtant, comme le rappelle Jonhnson, « le handicap est décrit comme le trope majeur de la disqualification humaine », c'est à dire comme ce qu'il y a de plus illégitime à considérer comme humain (et nous avons vu que le queer s’intéressait à ce qui est considéré comme illégitime) illégitime). Cela se manifeste par une considération différente d'une personne selon qu'elle est handicapée ou non, le handicap étant le facteur qui la fait plus ou moins sortir de l'humanité, ou du moins accepter qu'on la traite d'une façon qu'on refuserait pour les valides. C'est notamment ce qu'a montré A. Kafer en analysant, par exemple, l'histoire d'Asley X, une enfant polyhandicapée qui avait un niveau intellectuel très bas, et dont le corps continuait pourtant de se développer et d'acquérir les caractéristiques d'une femme adulte. Pour arrêter que ce fossé entre son corps et son esprit se creuse d'avantage, ses parents et médecins ont décidé de stopper sa croissance en faisant une hystérectomie et une mastectomie bilatérale. Ce traitement était perçu comme nécessaire par les parents d'Asley, persuadés de la préserver ainsi de souffrance s futures et d'un avenir forcément sombre. Ce procédé paraîtrait complètement choquant s'il était fait sur un enfant valide, mais dans le cas d'Asley X, son handicap l'a rendu légitime. Le handicap est perçu comme un obstacle tellement infranchissable au développement de l'être humain qui ne peut alors atteindre son statut plein et entier, qu'il autorise une considération moins grande de la vie de l'individu qui en est porteur.
Les théories queer utilisent, de plus, tout un réseau de métaphores que Jonhnson juge validistes, comme le font certain es porte étendards de la lutte contre les oppressions telle que Bell Hooks. Pour Jonhnson, la théorie queer exploite les subjectivités minoritaires pour leur résonance métaphoriques, comme, par exemple, c'est le cas pour la folie que le queer utilise pour parler d'expériences contestataires de contre culture. Elle cite à ce sujet le texte de Sami Schalk (professeur spécialisée en études de genres, disability studies littérature afro-américaine et littérature contemporaine dans une université new-yorkaise) Shalk explique dans Metaphorically Speaking: Ableist Metaphors in Feminist Writing que les féministes ont souvent utilisé es les métaphores de la folie, du boitement, de l'immobilité, de la non voyance, de la surdité, et d'autres handicaps de façons variées et pour des buts divers toujours de façon négative. Les féministes ont typiquement positionné le handicap comme opposé au savoir, ou comme un effet négatif du pouvoir et des privilèges liés au genre.
Pour S. Schalk, il faut que les expériences corporelles qui servent de bases à la communication (et donc aux idées abstraites que l’on véhicule dans cette communication) soient repensées, et encore plus dans le féminisme, afin que ce ne soit plus les expériences corporelles des dominants qui écrasent toutes les autres possibilités d’expériences. Une telle domination s’appuie sur des expériences du corps prétendument universelles : tout le monde voit, parle, entend, sent, et bouge de la même façon qui sont en fait celle s issues de la personne valide. Une telle utilisation du répertoire corporel valide traduit dans le langage ne peut s'appuyer que sur un schéma de pensé validocentré puisque nous comprenons et utilisons les métaphores d’un point de vue valide, ce dernier point de vue présentant les expériences corporelles valides comme des expériences universelles d'incarnation.
L'exemple de l'utilisation du mot crip par B. Hooks est assez représentatif du manque de considération pour la question du validisme, y compris chez les autres groupes socio logiquement opprimés. Les autres mouvements militants et/ou théoriques, que ce soit le féminisme ou les théories queer, ont donc aussi beaucoup à apprendre des expériences des personnes handis.
Pour conclure, on peut dire que la notion de queer comme out il pour déconstruire les identités, son utilisation pour réfléchir à l'abjecte comme mise à la marge, comme support essentiel à la norme dominante pour se construire, permet de réfléchir à la place des corps handicapés dans la société validiste.
Certain-es théoricien-nes et militant es sur les questions du handicap ont donc mis en avant l'idée d'une théorie et de pratiques crip , inspirées par les notions queer, qui veulent réfléchir en profondeur à la place des corps handicapés comme ayant à la fois une spécificité qui les rend « a normaux », donc potentiellement subversifs de la norme, mais cette spécificité étant aussi une clé pour appréhender le décloisonnement et l'instabilité recherchés dans le queer. Les expériences des personnes handis peuvent ainsi beaucoup apporter au queer en mettant en avant d'autres rapports aux corps, aux autres, au monde.
La possibilité très facile de passer du statut de valide à celui de handicapé-e , la multiplicité des handicaps, sont autant de réorganisations identitaires où le s corps sont exposés en première ligne comme les marqueurs de la différence. Les positions où les corps handicapés sont perçus très négativement, comme des corps abjects , comportent des possibilités de réappropriations du stigmate. Comme nous avons pu le voir, je l’espère, durant cette présentation c'est ce que cherche à creuser en montrant que les théories et les pratiques crip s'inspirent du queer car il reste une de leurs sources principales d’inspiration. Celles et ceux qui se revendiquent crip espèrent faire grandir les liens entre queer et crip, mais ces personnes critiquent aussi le queer, notamment dans sa capacité à ignorer ou à oublier trop vite les subjectivités crip car pour elles le queer ne va jamais vraiment
jusqu'à penser le handicap comme queer et jusqu'à queeriser le handicap !
Certain-es théoricien-nes et militant es sur les questions du handicap ont donc mis en avant l'idée d'une théorie et de pratiques crip , inspirées par les notions queer, qui veulent réfléchir en profondeur à la place des corps handicapés comme ayant à la fois une spécificité qui les rend « a normaux », donc potentiellement subversifs de la norme, mais cette spécificité étant aussi une clé pour appréhender le décloisonnement et l'instabilité recherchés dans le queer. Les expériences des personnes handis peuvent ainsi beaucoup apporter au queer en mettant en avant d'autres rapports aux corps, aux autres, au monde.
La possibilité très facile de passer du statut de valide à celui de handicapé-e , la multiplicité des handicaps, sont autant de réorganisations identitaires où le s corps sont exposés en première ligne comme les marqueurs de la différence. Les positions où les corps handicapés sont perçus très négativement, comme des corps abjects , comportent des possibilités de réappropriations du stigmate. Comme nous avons pu le voir, je l’espère, durant cette présentation c'est ce que cherche à creuser en montrant que les théories et les pratiques crip s'inspirent du queer car il reste une de leurs sources principales d’inspiration. Celles et ceux qui se revendiquent crip espèrent faire grandir les liens entre queer et crip, mais ces personnes critiquent aussi le queer, notamment dans sa capacité à ignorer ou à oublier trop vite les subjectivités crip car pour elles le queer ne va jamais vraiment
jusqu'à penser le handicap comme queer et jusqu'à queeriser le handicap !
Charlotte Puiseux